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Destinations | Québec

FASCINANTE LOTBINIÈRE 

Actifs ou contemplatifs, bouclez vos ceintures direction Lotbinière.

Gens pris de vertige s’abstenir

  • Photos Jennifer Blanchette

Le sommet de Gothics ne se classe pas parmi les plus hauts de la chaîne de montagnes des Adirondacks, mais parmi ses plus difficiles. Randonneurs, soyez avertis, vous y éprouverez les sensations fortes de la verticalité.

Enfoncé au creux de la vallée Keene, le mont Gothics passe souvent sous le radar des marcheurs aguerris, ceux-ci n’ayant de jambes que pour les géants Marcy et Algonquin Peak. Pourtant, tout appelle au défi sur cette montagne : son isolement sauvage, ses zones d’éboulement et, surtout, les longs câbles d’acier qui courent sur la face escarpée près du pinacle.

Les parois de ce mont qui culmine à 1444 m sont si vertigineuses qu’une succession de fils de fer ont été ancrés dans le roc de façon à aider les randonneurs à gravir ce dernier kilomètre plutôt vertical. « Le sommet de Gothics est si à pic et ses sols sont si friables que les parois sont désormais dénudées. C’est pour cela qu’on retrouve autant de zones d’éboulis sur ce mont », nous informe, dans la langue de Shakespeare, Ben Brosseau, directeur des communications de l’Adirondack Mountain Club.

Ce passage exaltant, qu’on surnomme la Cable Route, vaut à lui seul les difficiles 23 km de notre boucle de deux jours dans l’arrière-pays de l’État de New York. Sur la surface inclinée à près de 40°, j’adopte une position d’alpiniste en rappel. Mes deux pieds sont à plat contre la paroi, et tout en me retenant à la main courante métallique, je laisse mon corps pencher vers l’arrière. Quelle sensation grisante ! Derrière moi, le vide angoissant. Le vide et des dizaines de pics rocheux des High Peaks – incluant ce bon vieux Marcy – qui percent le ciel bleu vif du mois de juin. Cette vision divine suffit à me faire oublier que les hauteurs, ça n’a jamais été mon truc.

Mon chéri et moi poursuivons l’ascension, enivrés par ce défi sportif. Nous sommes tout près du sommet. Quelques mètres plus loin, les paumes de mes mains deviennent moites : devant moi se dresse un mastodonte de roche entièrement lisse. « Ben voyons ! Voir qu’ici il n’y a pas de câble pour nous aider. C’est presque de l’escalade ! » s’exclame Karim, mon chéri, le regard ahuri. Il a raison, aucun câble gainé de caoutchouc ne file sur cette longue surface plane. Seule une mince fissure dépare la paroi en son centre, de haut en bas.

L’arrivée en sens inverse de deux randonneurs me sort de ma stupéfaction. Je les observe tenter de descendre cette section périlleuse non sans proférer au passage quelques inoffensifs jurons. Pendant ce moment d’attente, mon amoureux entreprend de me raconter comment, lors d’une journée pluvieuse, une de ses amies a perdu pied durant sa traversée de la route des câbles. Elle a glissé sur plusieurs mètres vers le vide épeurant avant de réussir à freiner sa chute en s’accrochant à un bosquet d’arbres rabougris. La chair de sa cuisse a été épargnée grâce à son passeport qui traînait dans sa poche. Son pantalon n’a pas eu la même chance, m’apprend-il.

Décidément, nous avons bien fait d’opter pour un circuit en rond plutôt qu’un aller-retour. En plus de nous soustraire au calvaire d’une très raide descente, nous pourrons explorer deux autres sommets du secteur, Armstrong et Upper Wolfjaw. Cet itinéraire circulaire ajoute 2 km au trajet de 21 km qui mène au sommet de Gothics.

En après-midi, nous découvrirons cependant que la traversée de la crête du mont Gothics ne ménage pas les gambettes, en fin de compte. La perte en altitude sera ardue. Échelles de bois, proéminentes racines d’arbre et désescalade sans corde sur le flanc nord d’Upper Wolfjaw nous ralentiront constamment. En l’absence de points d’eau sur plus de la moitié du trajet, les réserves d’or bleu se feront de plus en plus maigres. Ce n’est qu’à environ une heure de marche de la fin du sentier que nous pourrons enfin remplir nos poches d’hydratation, nous désaltérer et rafraîchir nos langues râpeuses.

Revenons à la paroi sommitale, que nous n’avons pas quittée. Je décide de m’élancer. J’enfonce mes mains dans les entrailles rocheuses de la montagne et je me hisse – presque à la course – jusqu’en haut, et sans risquer un regard derrière moi. Une fois rendue, je lève les bras vers le ciel, victorieuse. Chéri éclate de rire, lui qui m’a vu détaler comme un brave lapin il y a quelques secondes. L’important, c’est que je continue d’avancer, non ?

Après avoir franchi un faux sommet de Gothics, c’est-à-dire une excroissance qui ouvre l’horizon vers l’abrupte montée finale du mont Saddleback – qu’on peut rallier dans la même journée au coût d’un effort de 1,6 km –, nous trônons enfin sur le faîte véritable de la montagne, exténués. La pause est courte : nous devons encore avaler 13 km avant la fin de la journée en plus de faire un arrêt au campement où nous avons dormi la veille pour récupérer notre matériel d’expédition laissé sur place.

Situé à 5 km du stationnement Garden, l’abri en appentis (lean to shelter) William G. Howard accueillera sans frais les randonneurs qui préfèrent effectuer en deux parties l’ascension du mont Gothics. Si vous arrêtez votre choix sur ce scénario, sachez que la distance à parcourir est loin d’être répartie équitablement (5 km le jour 1 et 16 km le jour 2). Cela vous évitera toutefois de vous farcir une éreintante journée de 12 heures de marche intensive.

Des airs de cathédrale gothique

La légende veut que le nom Gothics ait été donné par les explorateurs Frederick Perkins et Orson « Old Mountain » Phelps en 1857. En apercevant la montagne et ses nombreuses zones d’éboulement, les deux Américains lui ont trouvé une ressemblance avec une cathédrale de style gothique. Qu’on soit en accord ou non avec les interprétations architecturales des deux pionniers, une vérité s’impose : les éboulis défigurent bel et bien le géant de roche.

À mi-chemin de l’ascension, nous voyons s’élever au loin une longue traînée rocheuse dégarnie. Il s’agit du Orebed Slide, une immense zone d’éboulement sur la face nord du mont. Après nous être frayé un chemin à travers les marécages de la piste, nous rejoignons le bas de cette grande plaque chauve.

La nature a tranquillement repris ses droits au centre de la surface exposée, et une bande de mousse brunâtre s’y étire sur plusieurs dizaines de mètres. Des veinures noires et grises strient la pierre sur le sens de la longueur. Nous sommes fascinés par le spectacle qui s’offre à nous. Ce n’est pas tous les jours que les sentiers entrainent les marcheurs sur un terrain aussi brut. Selon Ben Brosseau, ce phénomène fait d’ailleurs partie des raisons qui, suivant un timide achalandage, incitent à fouler le terrain accidenté du mont Gothics.

En raison de son inclinaison prononcée, l’Orebed Slide se franchit en empruntant la centaine d’étroites marches en bois qui grimpent à l’extrême gauche de la paroi. Comme pour la Cable Route, voilà un coup de pouce qui tombe à pic !

EN BREF

Une randonnée pédestre difficile de 21 km qu’on effectue en une ou deux journées – dans ce dernier cas, en dormant dans un abri trois faces gratuit situé à 5 km du stationnement.

ATTRAIT MAJEUR

Le défi sportif qui oscille entre randonnée et escalade au cœur des Adirondacks sur un sentier peu achalandé.

COUP DE CŒUR

Le dernier kilomètre d’une ascension si raide qu’on le franchit grâce aux filins métalliques fixés à la paroi.

lakeplacid.com