Forces à l’épreuve

«Originaire de Montréal, je passe la majorité de mon temps au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg. J’y étudie le virus de l’influenza dans le cadre de mon doctorat en microbiologie médicale à l’Université du Manitoba. Je suis aussi technicien médical au sein de la réserve des Forces canadiennes. J’ai couru cinq marathons et je suis inscrit au prochain Ironman de Mont-Tremblant. Mes voyages et mes aventures me permettent de trouver l’équilibre entre mon travail intellectuel et mon besoin de bouger et de découvrir. On peut consulter les récits de mes expéditions avec photos et vidéos dans mon site Web.»
www.philippesimon.ca

Matin du 8 avril 2012. C’est un moment de stress et de soulagement: l’accomplissement de plus de six mois de préparation intense, alors que je me trouve à la ligne de départ du 27e Marathon des sables, à Ammouguer, dans le Sahara marocain.

Autour de moi, plus de 850 participants de tous les pays. Deux hélicoptères survolent la foule exaltée, tandis que la musique d’AC/DC joue à tue-tête dans les haut-parleurs. Finalement, c’est un départ! L’objectif: parcourir à la course 246 km de dunes, d’oueds1, de djebels2 et de plaines caillouteuses. Chacun transporte la nourriture et l’équipement dont il aura besoin dans un sac à dos, qui contient également, dans mon cas, une sympathique canette de bière Heinekein. L’eau, la précieuse eau rationnée, nous est fournie par les organisateurs, tout comme les rudimentaires tentes berbères aux bivouacs. Le Marathon des sables est considéré comme une des courses les plus difficiles du monde. Le trajet, inconnu des participants jusqu’à la veille du départ, est divisé en six étapes. Les trois premiers jours, on nous impose un parcours quotidien d’environ 30 km. Vient ensuite l’étape reine: couvrir entre 80 et 90 km en un maximum de 35 heures. Suivent un marathon de 42,2 km et un «petit» demi-marathon au dernier jour de l’épreuve.

La répétition générale
L’idée de participer à ce défi peu ordinaire m’est venue lors du marathon du Manitoba, quand j’ai fait la rencontre d’Albert Martens, un vétéran de cet ultra-marathon. J’ai hésité un mois avant de m’inscrire, puis j’ai fait le grand saut. Dès le mois d’août, il ne s’est pas passé une seule journée sans que je pense à cette course programmée pour avril. En plus de tous les préparatifs, j’ai décidé d’organiser une collecte de fonds. Les dons amassés m’ont permis d’offrir une bourse d’études à une jeune Africaine du bidonville de Kibera, au Kenya. D’un coup, cette aventure, au départ personnelle, a pris une dimension un peu plus humanitaire. Cela me fournirait une motivation supplémentaire dans les moments difficiles.

Pendant mes quatre mois de préparation, j’ai eu la chance d’être suivi chaque semaine par une excellente physiothérapeute. Mon programme d’entraînement était divisé en blocs de trois ou quatre semaines, avec une augmentation progressive des distances de course. Un mois avant la compétition, j’avalais plus de 120 km par semaine. Le week-end, je courais 50 km le samedi et l’équivalent d’un marathon le dimanche. Bien entendu, je franchissais ces distances en portant le sac à dos et l’équipement qui me suivraient dans le désert.

Le goût du dépassement
Mes efforts ont été récompensés. J’ai vécu les trois premières journées avec calme et sérénité. Cela m’a permis d’arriver au matin de la longue épreuve avec de bonnes réserves d’énergie et un minimum de blessures aux pieds. Difficile de décrire l’état d’esprit dans lequel on se trouve lorsqu’on marche ou qu’on court depuis des dizaines d’heures, que la nuit du désert nous enveloppe et que notre horizon se limite au faisceau d’une lampe frontale. D’un côté, la satisfaction de repousser les limites de son corps; de l’autre, une douleur grandissante aux pieds à mesure qu’on engrange les kilomètres! J’ai terminé la longue épreuve en un peu plus de 17 heures, trouvant même l’énergie pour sprinter entre le 60e et le 70e kilomètre. La lune a décidé de se montrer, pleine, à 2 h, juste au moment où, brisé de fatigue, j’ai franchi la ligne d’arrivée. A suivi une journée de torpeur et de récupération pendant laquelle mes compagnons de tente arrivaient, tour à tour, dans des états d’épuisement variables, en raison entre autres des tempêtes de sable, des orages et de la grêle qui se sont abattus sur le désert ce jour-là.
Je n’ai terminé le marathon du sixième jour que grâce à moult antidouleurs, qui bloquaient les signaux venant de mes pieds. Ce soir-là, les organisateurs nous ont offert un récital de musique classique sous le ciel étoilé du désert. Un moment magique et décalé. Le dernier matin, seulement 15 km nous séparaient du point d’arrivée. Exaltation et regret d’avoir presque terminé. Après les plus hautes dunes du Maroc, c’étaient soudain la ligne d’arrivée, les acclamations de la foule, les pleurs et… ma bière de la victoire! Au soulagement d’avoir réussi s’entremêlait un désir inexplicable de recommencer.

Il m’a fallu une semaine pour arrêter de boiter et plus de temps encore pour que mes orteils, devenus ampoules, guérissent complètement. Durant la longue épreuve, j’ai frappé un mur qui m’a forcé à puiser au plus profond de mes réserves de motivation pour surmonter l’épuisement et la douleur. Néanmoins, les paysages que j’ai traversés, l’argent que j’ai récolté, les gens que j’ai rencontrés et surtout ces 10 km de sprint en pleine nuit, seul dans le désert, resteront à jamais gravés dans ma mémoire. C’est ce genre de moment unique qui me pousse, sans cesse, à vouloir vivre des expériences extrêmes.

1 Lit de rivière asséché.
2 Montagnes.